La liberté de l'Internet en Afrique : Impôts, fermetures d'entreprises et besoin de changement

 

'Guest Blog': Rosemary Siyachitema

L'accès à Internet est un outil puissant qu'il ne faut pas considérer comme acquis. Plus de 4,4 milliards d'utilisateurs dans le monde sont maintenant en ligne et passent en moyenne 6,5 heures par jour en ligne. Cependant, même s’il s’agit d’une réalité pour de nombreux consommateurs, c’est encore un rêve lointain pour des milliards d'individus.

En Afrique, 38% de la population est maintenant connectée, mais beaucoup se heurtent encore à des obstacles tels que les connexions inabordables et peu fiables, la taxation de l’internet qui dissuade l’utilisation et même les fermetures d’Internet qui révoquent l’accès sans préavis.

Je tiens à souligner l’importance si importante de l’accès à Internet et de la liberté - de brosser un tableau des avantages que l’on peut tirer de la liberté d’Internet et des conséquences négatives de la suppression de l’accès à Internet.

Rosemary Siyachitema, Membre du Conseil d'Administration de Consumers International et Directrice Exécutive du Conseil des consommateurs du Zimbabwe (CCZ)

 

Internet en Afrique : pourquoi la liberté est essentielle


Au cours des deux dernières décennies, les progrès quant à la mise en place d'une connexion internet disponible à grande échelle et abordable en Afrique en ont été mitigés. En 2000, la pénétration d'internet était aux alentours de 1 %, voire moins, dans la plupart des pays du continent, et atteignait une moyenne de 2 % en 2005.


Il fallait une réforme significative pour booster la croissance et souffler un air nouveau sur un marché des télécommunications figé et qui était en grande partie géré par des organismes publiques, et dans une moindre mesure, par des entreprises privées. Cependant, la libéralisation du marché des télécommunications en Afrique à la fin des années 2000, un afflux d'importants investissements, le développement des infrastructures et la disponibilité croissante de smartphones à bas prix ont modifié le paysage, avec une croissance de la pénétration d'internet qui est passée de 2 % en 2005 à 28 % en 2017, la plus forte croissance jamais observée sur un continent.


En 2019, internet continue à redessiner de nombreux aspects de la vie en Afrique. Les services bancaires mobiles sont en plein essor et permettent à des millions d'utilisateurs en Afrique d'effectuer leurs paiements et d'accéder aux services de microfinance. Dans mon pays, le Zimbabwe, internet a grandement contribué à l'éducation financière, principalement grâce à un accès facile pour les consommateurs à l'information et à la formation. 

Internet peut-être le moteur d'une croissance inclusive et durable, en facilitant la vie des consommateurs, en augmentant la productivité des ouvriers et des entreprises, et en donnant accès aux services essentiels à ceux qui en ont besoin.


Dans le monde entier, et particulièrement en Afrique, la technologie offre aux consommateurs l'accès à un éventail de services pour améliorer leur qualité de vie, de l'éducation à la santé, et qui contribuent à la réalisation des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies (ODD).


Beaucoup d'Africains soulignent également les avantages d'une meilleure connectivité sur la communication sociale et même sur la politique. Internet sert comme un espace publique qui permet aux citoyens de donner leur opinion sur les problèmes de société en commentant ou en menant des actions, en votant, en manifestant, et en utilisant les autres outils auxquels ils ont accès. Il permet de réhabiliter des personnes autrefois marginalisées, notamment celles qui vivent dans les zones rurales et les zones de conflit.


Internet peut être un outil bénéfique très puissant, mais ne voir que les points positifs serait dommageable pour les millions d'Africains qui n'y ont toujours pas accès, ou ceux qui sont réduits au silence par des actions visant à restreindre la liberté sur internet.

Des gouvernement intrusifs, une confidentialité limitée et des coupures


Certains gouvernements africains ont récemment adopté des mesures afin d'augmenter la surveillance et de restreindre la liberté sur le net.


Peu à peu, ces gouvernements africains ont instauré des portails de e-gouvernement et des programmes d'identification numérique qui imposent aux citoyens de fournir des renseignements personnels détaillés, y compris leurs données biométriques, pour obtenir leur carte d'électeur, leur carte d'identité ou leur permis de conduire. Il existe également de nombreux exemples d'obligation de déclaration pour obtenir une carte SIM, lesquelles nécessitent des informations personnelles, comme une carte d'identité valide ou même ses données biométriques.


Cette surveillance accrue de la part de certains gouvernements représente une importante source d'inquiétude, car certains gouvernements collaborent avec des entreprises de technologie dans le but de créer des programmes de reconnaissance faciale de masse, qui nuiront probablement à la vie privée des consommateurs. Cette capacité de surveillance s'accompagne d'un durcissement de la réglementation concernant l'internet, avec des mesures restrictives et désormais largement répandues comme la censure, le filtrage, le blocage, la limitation et les coupures de l'accès, qui sont flagrantes dans plusieurs pays.


Les coupures de l'accès à internet sont de manière générale en hausse, avec 106 coupures reportées en 2017 contre 196 en 2018, l'Afrique et l'Asie étant les deux continents les plus touchés. Des collègues d'organisations membres au Rwanda, au Burundi et au Soudan, entre autres, ont été clairs concernant l'impact négatif de la réduction des libertés sur internet sur les consommateurs africains. L'Association soudanaise pour la protection des consommateurs (SCPS) a reporté en juin 2019 qu'une coupure internet avait laissé de nombreux consommateurs sans accès aux outils de communication, aux informations et aux services essentiels comme les services bancaires mobiles.

La taxation de nos services en ligne

 

L'un des phénomènes les plus remarquables et les plus inquiétants de ces dernières années est peut-être l'utilisation de taxes pour réduire l'utilisation d'internet par les citoyens. Ces mesures réduisent le nombre de citoyens ayant accès aux technologies numériques et pouvant les utiliser pour appeler à la responsabilité de leur gouvernement. Dans certains cas, les gouvernements cherchent à augmenter leurs revenus provenant des télécommunications, et en particulier, des services de streaming, qu'ils accusent de voler des parts de marché aux opérateurs sous licence. Au cours des deux dernières années, il semble que l'augmentation des taxes sur le temps de diffusion, les forfaits de data et l'accès aux réseaux sociaux soit devenue la norme dans la plupart des pays africains. Ces frais sont généralement répercutés sur les consommateurs, ce qui a pour effet d'augmenter le coût de l'accès à internet qui, pour nombre d'entre eux, est déjà inabordable.

 

Évoluer vers un avenir meilleur


Que pouvons-nous faire pour qu'à l'avenir, l'Afrique dispose d'une meilleure liberté sur internet ? Il n'y a pas de réponse simple, mais les progrès viendront d'un effort conjoint de la parts des gouvernements et des régulateurs pour renforcer les législations nationales et les directives régionales.

Les groupes de défense des consommateurs ont également un rôle important à jouer dans la préservation de la liberté sur internet. Nous devons rappeler aux gouvernements les avantages substantiels que peut apporter un accès abordable, fiable et sécurisé à internet aux consommateurs, ainsi que les conséquences que peuvent avoir la restriction de la liberté sur internet ou la mise en place d'obstacles inutiles à l'accès au web.


Il y a également un important travail à faire concernant la protection des données et de la vie privée, avec seulement 43 % de pays africains ayant adopté une législation. En donnant la priorité aux réglementations qui protègent les données personnelles et la vie privée des consommateurs en ligne, nous pouvons gagner leur confiance au lieu de restreindre leurs droits.


Avec environ 40 % de la population sub-saharienne âgée de moins de 16 ans, notre devoir est de leur fournir une plateforme pour s'épanouir, grandir et bâtir un meilleur avenir pour l'Afrique. Garantir que chacun ait un accès à internet, quel que soit son niveau de revenu, son genre ou d'où il vient, serait une avancée significative vers un monde plus juste et plus durable.